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Pontaubault, une station routière antique au passage de la Sélune ?

L’établissement humain de Pontaubault

Pontaubault, une station routière antique au passage de la Sélune ?

Quand, à la fin du mois de juillet 1944, les troupes américaines du général Patton s’emparent du pont de Pontaubault pour franchir l’estuaire de la Sélune, elles se mettent dans les pas de tous ceux qui, comme eux et pendant des siècles, ont franchi là ce petit fleuve côtier, pour se diriger ensuite vers le Maine et la Bretagne.

La Sélune, après avoir sinué dans une large vallée depuis Ducey, effectue une dernière grande boucle avant de rentrer dans la baie du Mont-Saint-Michel. C’est à cet endroit, là où le lit se resserre, que le village de Pontaubault s’est établi, sur la rive gauche du fleuve, en tête du gué puis d’un pont, qui permettait de le franchir aisément.

La topographie du site a changé depuis l’époque gallo-romaine. En effet, les sédiments charriés par la marée ne sont qu’en partie déblayés par le courant du fleuve, et sa largeur a donc beaucoup diminué au cours des siècles. Si, au sud, le départ du gué a peu changé, au nord, le fleuve a beaucoup alluvionné, comme on peut le voir en observant les photos anciennes. A l’époque gallo-romaine, on peut estimer la largeur du lit à une centaine de mètres : c’était donc un obstacle important, surtout lors des épisodes de fortes marées.

Un pont a succédé au gué, dès le Moyen Âge ; ce pont, dit quelquefois « de la duchesse Anne », a été refait, raccourci et élargie vers 1840. Lors de ces travaux, on a découvert un nombre impressionnant de monnaies gallo-romaines datant des trois premiers quarts du Ier siècle ap. J.C.

C’est donc là un indice sûr de la fréquentation du lieu au début de l’ère chrétienne.

Plusieurs études ont été consacrées ces dernières années aux voies antiques convergeant vers Avranches. Nous allons essayer de faire le point sur leur tracé, d’une part entre Pontaubault et Avranches, et d’autre part immédiatement au sud de Pontaubault.

Le tracé de la voie entre Avranches et Pontaubault n’a pas totalement disparu. Mieux, on peut le suivre intégralement depuis sa sortie de la ville, au niveau de l’actuelle place Patton, jusqu’à la Sélune, et la structure même de la voie est manifestement toujours en place en de multiples endroits.

La voie longe d’abord l’arrière des parcelles situées à l’ouest du boulevard du Luxembourg, puis est conservée, au lieu-dit le Ragotin (c. d’Avranches) dans le chemin VC n° 2 qui fait la limite avec la commune de Saint-Martin-des-Champs.

La parcelle située immédiatement à l’est, toujours très humide, est probablement établie sur un fossé latéral. Puis, les limites communales Avranches / Le Val-Saint-Père et Saint- Martin-des-Champs / Le Val-Saint-Père en conservent la direction : par la cocarde et le Mont-Jarry, la voie recoupe l’actuelle N 175 en diagonale jusqu’au lieu-dit le Haut de l’M. Là, elle a un curieux coude avant de descendre la forte pente. C’est une large et profonde cavée qui permet de passer la cote 90 NGF à la cote 45, en un peut moins de 400 mètres, et qui continue dans un délaissé routier qui recoupe l’actuelle route de Par-en-Dessous (ou Quarante-Sous).

A partir de là, on peut observer, sur le terrain, une situation topographique que l’on va retrouver plus loin à Pontaubault, mais que l’on peut aussi reconnaître en de multiples points du réseau routier de la Gaule romaine : la voie n’est pas conservée dans le tracé d’un chemin mais dans une parcelle allongée bordée par un chemin. En effet, lorsque la chaussée n’a plus été entretenue, il est devenu plus facile de circuler sur les bandes latérales ou même à l’emplacement des fossés, lorsque ceux-ci se sont peu à peu comblés. Ainsi, sur plus de 600 mètres, la voie est probablement dans ces longues parcelles, coincées entre le chemin dit du Cheminet, jusqu’au Grand Chien, et la D7. La dénivellation entre le chemin (trace de l’ancien fossé) et le point le plus haut de la parcelle avoisine encore les deux mètres, à certains endroits. La rocade sud d’Avranches interrompt aujourd’hui la lecture de la continuité de la voie, mais la limite communale en conserve la trace.

Au sud du Moulinet, la voie devait traverser sur près de 200 mètres la vallée du ruisseau dit de la Porte ou du Lait Bouilli. C’était un obstacle important car cette zone est extrêmement humide. Au nord du ruisseau, dans la parcelle C01 482 de Saint-Martin-des-Champs, bordée à l’ouest par le bief de l’ancien moulin, on voit très bien le bombement caractéristique de la chaussée qui atteint quinze à vingt mètres de largeur ; au sud (parcelle ZA01 308 Saint-Quentin-sur-le-Homme), on a observé, il y a quelques années, des pieux solidement enfoncés dans le sol. Il est alors tentant de postuler ici de l’existence d’un « pont-long », ce dispositif où les différentes strates de la chaussée sont supportées par des rangées de pilotis, comme à Etienville (dép. Manche) ou à Visseiche (dép. Ille-et-Vilaine). A la sortie de cet espace humide, on retrouve la voie dans les parcelles allongées 310/312, 417 et 418 de la section ZA01 du cadastre de Saint-Quentin-sur-le-Homme, le long du lieu-dit Cromel. Enfin, jusqu’au gué sur la Sélune, c’est en limite communale entre le Val-Saint-Père et Saint-Quentin-sur-le-Homme qui garde la mémoire de la voie.

Donc, entre Avranches et la Sélune, un seul itinéraire peut être reconnu. Il s’agit manifestement d’une voie importante, si l’on en juge par la largeur de la chaussée, que l’on peut estimer dans les secteurs conservés.

A partit de Pontaubault, l’organisation du réseau viaire est complètement différente, l’itinéraire unique se scindant en deux tracés qui vont à leur tour se diviser en plusieurs branches.

Tracé A. Dès le départ du gué, la direction de cette branche est donnée par la rue Eugène Turck. Sur le plan cadastral de 1811, son emprise est probablement conservée dans les parcelles 15 et 18 de la section B. Puis au fur et à mesure que l’on monte vers le sud, le tracé se rapproche de l’actuelle rue Patton. Malgré les transformations urbaines liées à la reconstruction postérieure à la seconde guerre mondiale, on peut encore voir aujourd’hui, rue Germaine Ruault (entre les parcelles 59 et 60 de la section AB01), un bombement qui doit signaler la présence de la chaussée antique.

Peu avant que son tracé ne soit coupé par la rue de la Vache Enlisée, M. Guillermin-Bellat l’observe dans la parcelle 83 de cette même section ; il est néanmoins vraisemblable qu’elle occupe toute la largeur de l’ancienne parcelle 65 (1811, section B). Ce tracé A est alors parallèle, à l’ouest, au chemin dit de la Vieille Côte, jusqu’à sa rencontre avec la D 976, au lieu-dit le Haut de la Côte. A partir de là, on peut suivre jusqu’à Saint-James un itinéraire de long parcours qui suit la ligne de hauteur du lieu-dit Le Guermont (c. de Juilley) que diverge la voie de Rennes étudiée par M. Guillermin-Bellat.

Tracé A1. Entre le Domaine et Haut Vespres (c. de Juilley), se greffe sur ce tracé un autre itinéraire dont la jonction avec le précédent a été effacée par la construction de l’actuelle route de Saint-James (D 998). Par le Châtellier et Sisse (c. de Poilley), il remonte sur la rive gauche, la vallée de la Sélune. Ce tracé est en parfaite cohérence avec le réseau parcellaire du début du XIXe siècle, ce que n’est pas un chemin plus tardif qui, par une vaste courbe, rejoint Pontaubault en coupant les parcelles en diagonale.

Tracé B. Partant du gué, ce second tracé se dirige lui aussi vers le sud, mais en s’infléchissant de plus en plus vers le sud-ouest. Occupant la partie occidentale de la parcelle 68 de la section B (1811), il est bordé à l’ouest par le chemin dit « ancien chemin de Précey ». Les anciennes parcelles s’ordonnent parfaitement par rapport à cet ancien chemin, qui nous conduit par La Godardière, Le Vau Renault et La Lande des Quatre-Vents, vers le bourg de Précey. Et au-delà vers Corseul (dép. Côtes d’Armor). Comme nous l’avons déjà observé dans sa partie nord, la voie est conservée dans une parcelle (1811, B68), alors que le chemin creux s’est établi dans un fossé latéral : une photo prise avant la construction du lotissement de la Motaisière montre clairement le bombement de la chaussée.

Or en 2011, un diagnostic archéologique a été réalisé sur cette parcelle et il est tout à fait étonnant de constater qu’aucune trace de la structure n’a été observée. Bien sûr, il est possible que la partie supérieure de la voie ait disparue consécutivement aux travaux agricoles ; on peut ainsi remarquer que trois cents mètres plus au sud, la bande de roulement devait se trouver directement sur le niveau supérieur du schiste. Pourtant une découverte faite lors de ce diagnostic ne laisse pas de m’étonner : celle de ces deux très grands fossés, orientés nord-sud et conservés sur une grande longueur. L’un, le fossé 233, de 3,50 m de largeur apparente, était « un fossé de grande ampleur, localisé sous la voie de chemin de terre actuelle » (ce chemin de terre est l’ancien chemin de Précey), l’autre, le fossé 224, de 5,50 mètres de largeur, « le plus important fossé rencontré sur le site », possédait un profil en V. L’archéologie a d’autre part constaté que « plusieurs fossés protohistoriques s’arrêtaient à son niveau ». L’une des hypothèses que je peux faire pour tenter d’expliquer cette observation est que le fossé 224 a coupé les précédents et qu’il leur serait donc postérieur. Enfin, dans la notice scientifique du rapport, on note que « deux [autres ?] fossés orientés nord-sud ont livré du mobilier de facture gallo-romaine ». On peut donc se demander avec quelque raison si le diagnostic n’a pas mis au jour le grand fossé latéral occidental de la voie. C’est en tout cas sur ce tracé, mais un kilomètre plus au sud, que se situent sans conteste les traces sombres des fossés de la voie que l’on peut récupérer sur les photos aériennes anciennes au niveau de La Grande Chaussée (c. de Pontaubault).

Tracé B1. Entre La Motaisière et Précey, Loïc Langouet a repéré un second tracé, lui aussi bien « canalisé » par les limites parcellaires, qui passe au lieu-dit Les Fontenelles (c. de Pontaubault) et à La Chaussée (c. de Céaux), toponyme révélateur. Il est grossièrement parallèle au précédant et le rejoint au gué sur la Guintre au nord du bourg de Précey.

Tracé C. Enfin, partant toujours du gué, un dernier tracé peut être identifié. Se dirigeant cette fois vers l’ouest, il est conservé par le parcellaire sous le nom de « chemin de Courtils à Pontaubault » (Plan cadastral Céaux, 1831, section A2) : il passe à Athée (c. de Céaux), évite le bourg de Céaux par le sud et atteint Courtils, où j’ai identifié un site gallo-romain sur la butte de l’église. Il est vraisemblable qu’il ne s’agit là que d’un chemin de desserte locale.

En l’état actuel des connaissances, la création d’une agglomération sur le site de Rennes / Condate, ne peut remonter qu’au début de l’époque romaine. Il ne pouvait donc y avoir de liaison directe avec Avranches, avant cette époque. Or les deux tracés A et B que j’ai décrits sont manifestement des itinéraires préromains de long parcours. Aussi quand les ingénieurs romains créent cette nouvelle liaison, il est logique de penser qu’ils vont se raccorder à ces itinéraires plutôt que de construire une voie ex nihilo. Je pense qu’il existe deux tracés qui vont rejoindre ces anciennes voies. Le premier a été étudié et décrit par M. Guillermin-Bellat. Il se raccorde à la voie menant à la basse vallée de la Loire par Saint-James (tracé A) au niveau du lieu-dit Le Guermont (c. de Juilley). Mais l’examen des couvertures aériennes de l’IGN permet de repérer un autre tracé. Dans la parcelle ZC 121 du plan cadastral de Crollon (La Grande Lande), la trace de la chaussée et de ses deux fossés latéraux est parfaitement visible ; on peut ainsi suivre un tracé qui passe à l’est de La Secouette, franchit le ruisseau de La Dufanière, passe à l’ouest de la Gase, coupe la D 40 et monte plein nord vers Précey avant de se raccorder au tracé B. Je ne suivrai pas R. Verveur dans son hypothèse de tracé direct. On sait que les ingénieurs romains préféraient éviter les obstacles trop importants, quand cela était possible : il est alors difficile de penser qu’ils aient envisagé la traversée d’une zone humide, celle de la source de la Guintre, alors qu’une autre possibilité s’offrait à eux, rejoindre le gué déjà existant sur cette rivière au nord de Précey, puis la ligne de hauteurs qui conduit au lieu-dit Les Lauriers (notre tracé B).

L’établissement humain de Pontaubault

Il existe plusieurs termes pour décrire les implantations humaines établies le long des voies antiques : vicus, mansio ou mutatio. Bien que situé à seulement à 5,5 km de l’entrée de la ville romaine d’Avranches, Pontaubault a pu être le siège d’un établissement humain plus important qu’une simple mutatio. Les découvertes de ces dernières années ont permis de mettre en évidence un certain nombre d’agglomérations (possédant sanctuaire et thermes publics) situées à une faible distance de chefs-lieux de cité ou de villes importantes et souvent situées près d’un cours d’eau. Même si nous ne prétendons pas que Pontaubault ait pu être le siège d’un vicus, il est néanmoins vraisemblable que l’importance du gué, le passage de plusieurs itinéraires à un seul, le fait que la traversée soit soumise à l’influence des marées et ait donc pu provoquer un temps d’attente plus ou moins long, tout cela ait pu générer l’installation de lieux d’hébergement pour les hommes et les animaux. Il est donc possible, selon moi, de qualifier Pontaubault de station routière.

L’examen du plan cadastral de 1811 permet de faire quelques observations.

Tout d’abord, les parcelles 32,33,35 et 36 situées dans les tracés A et B ne sont toujours pas bâties, alors qu’une légère urbanisation s’est développée de part et d’autre. Se pourrait-il que cette absence de construction soit la trace de la fonction primitive du site : une aire d’attente et de « stationnement » pour le passage du gué ? On peut observer un phénomène identique à Jort (dép. Calvados) où la voie antique qui traverse la Dives est bordée par deux parcelles également vides de toute habitation. Dans le département de la Haute-Vienne, la voie d’Agrippa, de Limoges à Saintes, traverse la Vienne au lieu-dit Pont de Piles : peu avant le passage du gué une vaste plateforme, que l’archéologue identifie comme une aire de stationnement, est parfaitement visible sur les photos aériennes.

Autre observation faite sur le cadastre du XIXe siècle, la mention « Fontaine d’Oron » écrite sur l’emplacement du fleuve. Si le toponyme n’a apparemment laissé aucun souvenir dans la mémoire locale, cette fontaine semble toujours exister en 1811. Sur le cadastre (section B), apparaît, près d’un chemin, face à la parcelle 304, une petite structure approximativement circulaire teinté en gris : cela ressemble à une mare ou une source, peut-être cette fontaine ? Après enquête de terrain, la fontaine existe toujours au même endroit : c’est aujourd’hui un point d’eau entouré de murs et accessible par une grille. Le mot lui-même pourrait être une graphie fautive pour « orou » et venir du latin oratorium, lieu de prières, qui a souvent désigné des églises généralement situées le long des voies antiques. Ce terme pourrait-il alors avoir désigné un fanum situé juste en tête de gué dans une situation analogue à celle de Jort (dép. Calvados) par exemple ? Or, sur le cadastre de 1811, il est une parcelle quadrangulaire bien individualisée, non bâtie, le long de la berge de la Sélune (parcelle B 39) juste à côté de la possible zone d’attente et non loin de la fontaine. Il est bien tentant de voir là l’emplacement du temple dont la divinité protégeait les voyageurs.

En dehors des monnaies découvertes dans le lit de la Sélune et de quelques fragments de céramiques aucune autre découverte d’époque gallo-romaine n’a été signalée à Pontaubault. Nous ne pouvons donc que supposer l’existence d’un établissement routier à cette époque. Peut-on alors utiliser les informations des périodes postérieures pour éclairer les origines de Pontaubault ? La première mention du lieu remonte au XIè siècle : la liste des possessions de l’Eglise d’Avranches (vers 1060) mentionne une « terram pontis Alboldi » qui est en deuxième position dans cette liste, signe possible qu’elle présentait alors une certaine importance et/ou une certaine ancienneté. Comme l’évêque possédait également Pont, au nord d’Avranches, on constate donc qu’il pouvait contrôler l’arrivée immédiate sur sa ville en possédant les deux gués importants, sur la Sélune et sur la Sée. Ce contrôle était-il plus ancien ? La dédicace à saint André de l’église paroissiale de Pontaubault indique une christianisation précoce : en effet ce saint est le protecteur de l’église cathédrale d’Avranches et je pense que ses reliques lui ont été attribuées par l’évêque Victrice à la fin du IVè ou au début du Vè siècle : il est fort probable que ce soit l’évêque d’Avranches lui-même qui ait fondé cette église pour marquer son territoire. Il est donc vraisemblable qu’un noyau d’habitat existait déjà vers le Vè-VIè siècle. Un détail d’une carte postale du début du XXè siècle a également attiré mon attention : la rue qui entoure le bourg au sud et à l’ouest (actuelle rue Maréchal Leclerc) s’appelait alors rue Saint-Pierre. Pourrait-ce-être là l’indice d’un second édifice religieux ?

Une dernière observation peut être faite sur le cadastre de 1811. La zone urbanisée a dû être très tôt entourée par un enclos quadrangulaire entourant l’atterrissage du gué et ses abords : son tracé est conservé en partie dans la rue de la Sélune et la rue Maréchal Leclerc. Il est difficile de dater ce type de délimitation, mais on peut constater que la construction de l’église Saint-André a généré la création d’un autre enclos, une structure circulaire de 45 mètres de diamètre environ qui englobe le sanctuaire et son cimetière. Cet enclos ecclésial empiète, au sud, sur la première limite qui lui est donc antérieure. L’église Saint-André ayant été détruite pendant les bombardements de 1944, son emplacement est aujourd’hui totalement « libre ». Seul le portail a été préservé et consolidé ; il présente un décor plus simple mais assez proche du portail occidental de l’église, toute proche, de Saint-Loup, daté du XIIè siècle. Il serait extrêmement intéressant de pouvoir y conduire une fouille archéologique afin de vérifier l’existence d’un édifice antérieur, comme j’ai pu le faire récemment dans l’église de Saint-Quentin-sur-le-Homme.

De nombreux fleuves côtiers étaient navigables dans l’Antiquité : entre autres en Normandie, la Risle et la Touques, sans doute l’Orne et dans une région plus proche, la Rance. Dans une communication faite il y a quelques années devant les membres de la Société d’archéologie, j’ai montré que la baie du Mont-Saint-Michel avait pu être, dès l’Antiquité, un gigantesque port d’échouage : les trois fleuves qui s’y jettent, la Sée, la Sélune et le Couesnon, avaient été, à des degrés divers, navigables. Si le lit de la Sélune est aujourd’hui rétréci et peu profond, le fleuve était accessible à des bateaux à fond plat jusqu’au milieu du XIXè siècle.

A Pontaubault, la rue Maréchal Montgomery, qui descend vers le fleuve, s’appelait rue du Quai avant la seconde guerre mondiale. L’hypothèse d’un port fluvial à un endroit qui a pu être l’un des points de rupture de charge est donc parfaitement envisageable. Quand on voit qu’en 1787 encore, des matériaux de construction sont acheminés par voie fluviale jusqu’à Aucey, sur le Couesnon, on peut imaginer sans peine qu’à l’époque gallo*-romaine, on ait pu facilement apporter assez loin à l’intérieur des terres, toutes sortes de matériaux pondéreux (chaux, pierre, tegulae, etc…), sans compter tous les produits d’importation comme la céramique sigillée et les amphores que l’on retrouve en nombre sur les sites gallo-romains de la région, en particulier à Avranches. Toutes proportions gardées, le site de Pontaubault présente certaines similitudes avec celui de Taden (dép. Côtes d’Armor), vicus routier et fluvial au passage de la Rance. Les monnaies romaines recueillies dans le lit de la Sélune prouvent le passage du fleuve à cette époque. Mais les découvertes archéologiques manquent pour attester avec certitude l’existence d’une station routière.

Il est tout à fait frustrant de constater que plusieurs sites du sud-ouest de la Normandie sont des candidats potentiels au titre de vici ou de mansiones, mais que l’absence de vestiges reconnus rend leur existence hypothétique. Je suis pourtant persuadé que dans un avenir proche, l’archéologie permettra que les villages tels que La Croix-Avranchin, Le Repas (c. Folligny), Saint-Martin (c. Les Loges-Marchis), Pain d’Avaine (c. Isigny-le-Buat) et Pontaubault prennent toute leur place sur les cartes routières de l’Antiquité.

Daniel LEVALET